Prologue

Ecrit par Ser Barnar

Les coups feutrés des sabots dans neige fraîche meublaient la conversation d’un rythme entêtant. Le cocher ne supportait visiblement pas le silence et je me demandais depuis des heures qui de son accent ou de son odeur était le plus insupportable.

  • C’est-y in joli coin où qu’vous vous rindez messire. Le fief Marak ! C’est pô chaud mais c’est drôlemin beau !
  • Ca a un certain charme, je dois en convenir. Répondis-je d’un air distant pour l’inviter à se taire. En vain.
  • C’est-y in fief puissant vous savez messire ! Et not’ bon seigneur Lorgan Ah ! On l’écoute chez les grin de s’monde ! Une belle forteresse qu’il a ! avec plein d’soldats et des cavaliers et des bateaux ! Tout ! Ah ça ! On a bin d’la chance nous zot’ d’avoir d’aussi belle terres ! On n’a pas s’plaindre !
  • Vraiment ?

 

L’homme me regarda d’un air suspicieux et plissa son visage ridé en une grimace tragique.

  • On a bin kek problèmes avec des rufiants à la frontière et y a qu’eune ville modeste pour l’marché mais in n’est pô plus mal qu’ailleurs ! Vous connaissez le coin ? Vous êtes d’la famille Marak ?

Sa curiosité était déplacée et aurait pu lui valoir une sévère dérouillée dans un autre endroit de Westeros… Mais parler du coin me réchauffait un peu.

  • Je suis Ser Barnar, j’étais pupille du seigneur Lemmane, le père de Lorgan. Quand mon père est mort sous les bannières Stark, j’ai été confié à la famille Marak afin d’être élevé comme chevalier.

L’homme resta muet. Un exploit que je n’avais pas réussi à réaliser en plusieurs centaines de lieues. Je choisis de pousser mon avantage en continuant sur ma lancée.

  • La famille Marak remonte au temps des Andals. L’histoire du fief commence avec le roi Rorek qui prit possession de ces terres pas la ruse en tuant son rival don le nom a été effacé des annales. A l’époque, le clan était modeste, il ne s’appelait pas encore Marak. Il s’est hissé dans la société nordique pour la première fois avec le mariage de la belle Aurénie et du fils aîné de la famille Guérégune. Cette union a évité une guerre et c’est par cette habile passe stratégique que, pour la première fois, la famille a obtenu la reconnaissance des Starks. Ils étaient alors au début de leur ascension.
  • Bah par tous les Barals du Nord ! Ca reminte à lintemps c’t’histoire lô !
  • A partir de là, l’union des Stark et des Marak n’a plus connu de faille jusqu’au scandale des Terres Sales.
  • Ah ! Ça c’est bin triste c’t’affaire lô ! C’est t-y pô une disgrâce terrible ? Qui pourrait…
  • Mais nous n’en sommes pas encore là mon cocher ! Il y a d’abord eu le soutien essentiel des Marak à la prise de pouvoir des Stark. La famille d’Eddar sait bien que sans les Marak, ses ancêtres ne seraient jamais devenus rois du nord. L’aïeul Galan a d’ailleurs eu l’insigne honneur d’être admis comme capitaine de la garde personnelle du roi.

Le château était désormais en vue. Ce que l’homme appelait une forteresse n’était en fait que le vague château de mes souvenirs avec une paire de tours et un donjon fatigué. Par contre mon compagnon édenté n’avait pas menti sur les troupes. Je voyais au loin des groupes de soldats effectuer une manœuvre en ordre. Peut-être ce dernier voyage ne serait pas aussi pénible que je l’imaginais.

Le cocher me regardait maintenant avec espérance. Il voulait connaître la suite et je me laissai prendre au jeu.

  • Le coup d’éclat suivant intervint à la construction de Mur. La maison Marak fut l’une des plus actives à participer à l’érection du Mur et à la constitution de la Garde de nuit. Puis vînt le temps de la conquête d’Aegon et de ses dragons… Là aussi, les Marak surent se distinguer et se retrouver une fois de plus dans le camp du vainqueur.
  • C’est com’ ceut’fois où les sauvagins int franchi l’mur Ser ! Heures’min que les Marak étaient lô parce que sans ça, les Stark, y zétaient tout foutu !

La fierté de ce brave homme m’arracha un sourire. Cette histoire datait de bien avant notre naissance à tous les deux et pourtant, il en tirait une fierté sincère, comme s’il avait lui-même combattu. J’imaginais que cette histoire était de celles qu’on se racontait au coin du feu dans la mansarde familiale.

C’est alors que je vis son visage s’assombrir. Son esprit venait de tourner la page de cet épisode pour le conduire au chapitre suivant. Un silence infini nous accompagna pendant les douze lieues suivantes.

Mais l’histoire devait être achevée.

  • Et le seigneur Goldrin Marak trahit le roi du Nord en s’alliant à la rébellion de Clarenn le tourne casaque.

Je crus le voir s’essuyer le coin de l’œil. Aussi laissai-je mon regard se perdre dans le pelage du bœuf qui se dandinait devant moi et je poursuivis sans attendre.

  • De cette trahison, l’honneur de la maison Marak ne se remettra jamais. Malgré les gloires passées et les siècles de dévouement, il est des tâches qui ne peuvent être lavées. Malménar, le Stark de l’époque, a fait grâce à la maison après avoir lui-même décapité Goldrin… C’était il y a un peu plus cent ans. Ce conflit territorial gardera le nom de Terres Sales. Comme pour rappeler la tâche que je viens d’évoquer avec vous…
  • Intre timps de belles choses sont arrivées ici Ser ! Tenez ! La mère du seigneur Lorgan, bin elle était folle éprise du chevalier rossignol quin t’elle était jeune fille !Je l’ai pas connu mais c’était un bel homme vous savez ! Et plein d’vigueur ! Qui gagnait les tournois et tout et tout ! Pis l’histoire elle dit qu’il a préféré la gloire et qu’il est parti de guerre en guerre, la laissant se marier au seigneur Lemmane jusqu’à ce qu’elle meure de chagrin. C’t’eune belle chansin ça pas vrai ?

Nous étions devant les portes du château. Comme le seigneur Lorgan me l’avait proposé, j’allais prendre la tête de la garnison de la place forte. Une dernière façon de servir pour un vieux soldat fatigué comme moi. Le froid et la durée du voyage m’avaient ramenés à ma condition de vieillard, et je crus m’évanouir sous l’effet de la douleur lorsqu’il fallut déplier la lourde carcasse.

Je payai plus au cocher que ce qui avait été prévu et j’offris le peu qu’il me restait à un jeune homme afin qu’il porte mon armure, ma lance et mon épée jusqu’à l’hôtel de ville. Derrière moi, mon compagnon de voyage criait :

  • Merci min bon Ser ! J’espère bintôt vous r’voir pour parler incore de not’beau pays et d’ses zistoires ! Vous savez, j’en sais incore plein des zistoires du chevalier rossignol !

Je le saluai de la main.

  • C’est bien aimable mon cher, mais je les connais toutes !

Puis je remontai l’allée boueuse en silence et, en espérant que le froid ne me remarquât pas, je me glissais au milieu des courants d’air.

Comme un oiseau.